Le pacte analysé par le SNES Gironde

Malgré le tintement des casseroles de la colère, une pseudo-revalorisation qui sonne creux...

Lors de son interview du 22 mars 2023, Emmanuel Macron a souhaité qu’à la rentrée prochaine « on puisse remplacer du jour au lendemain les profs dans les classes des élèves ». Il en fait même sa priorité.
Dans son allocution à 20 heures le 17 avril 2023, il place l’Ecole dans l’un de ces trois chantiers des Cent jours, celui du « progrès pour mieux vivre ».
« L’Education nationale doit renouer avec l’ambition d’être une des meilleures d’Europe » tonne-t-il.
« Dès la rentrée notre école va changer à vue d’œil… pour les parents qui verront le remplacement systématique des enseignants absents. »
Le défi de la réussite scolaire se résumerait donc aux seules absences des professeur.es.
On comprend mal alors pourquoi son gouvernement veut supprimer encore 1 500 postes à la rentrée prochaine, dont 481 dans le second degré, qui pourraient être autant de remplaçant.es titulaires manquant cruellement actuellement.
En six ans, nous avons perdu 8 381 postes dans les collèges et les lycées alors que nous avons eu
190 000 élèves de plus. En parallèle, le nombre d’heures supplémentaires atteignait presque 600 000 heures (30 % d’augmentation depuis 20 ans).
Ce narcissique et martial président est désormais en tournée pour multiplier les annonces, non pas au son du clairon mais à celui des « dispositifs sonores portatifs », afin d’essayer de faire oublier le refus très largement majoritaire de sa réforme des retraites.
C’est donc lui, et non notre ministre potiche, qui a annoncé jeudi dernier une hausse inconditionnelle de certaines primes et la mise en place du pacte.

« Revalorisation » inconditionnelle dite « socle » : une hausse des salaires « entre 100 et 230 euros nets en plus par mois »

- Le doublement de la prime statutaire de l’ISOE pour tou.tes à 2 550 euros annuels bruts :
A partir de septembre 2023, tou.tes les enseignant.es (titulaires et contractuel.les) vont voir la part fixe de leur Indemnité de Suivi et d’Orientation des Elèves (ISOE) doublée.
Cela se traduira concrètement par près de 92 euros nets.
Cette hausse est présentée comme la reconnaissance de notre investissement pour l’orientation des élèves. Elle concernera aussi les collègues documentalistes, les CPE et les Psy-En.
Il s’agit d’une véritable victoire syndicale même si elle est très insuffisante par rapport à notre perte de pouvoir d’achat.
Une des premières hypothèses présentées par le ministère ne prévoyait en effet aucun gain financier pour les collègues ayant plus de 26 ans d’ancienneté.
C’est notre opiniâtreté et la lutte syndicale qui ont permis d’obtenir ce doublement de l’ISOE, un des mandats du Snes-FSU.

- La hausse de la prime d’attractivité pour « mettre déjà tout le monde au-dessus de 2 000 euros » (E. Macron) à la rentrée 2023 :
Les collègues ayant jusqu’à 15 ans d’ancienneté (donc jusqu’à l’échelon 7) auront une augmentation supplémentaire avec la hausse de leur prime d’attractivité. Jusqu’à présent les échelons 8 et 9 étaient aussi concernés mais ne le seront plus à la prochaine rentrée.
Cela devrait s’élever entre 43 euros nets mensuels pour l’échelon 7 et 126 euros nets mensuels pour l’échelon 5.

Il s’agit de garantir une rémunération d’au moins 2 000 euros nets par mois.
Sachant que le salaire mensuel de base d’un.e certifié.e à l’échelon 11 sera en septembre 2023
de 2 757 euros nets… sur ses 26 ans de carrière pour atteindre la hors-classe, il n’aura finalement qu’une augmentation salariale globale de 1 028 euros nets, soit près de 39,5 euros par an seulement !
Les stagiaires devraient bénéficier de 160 euros nets par mois.
Les contractuel.les verront leur prime d’attractivité portée à près de 100 euros nets par mois.

Ces sommes faramineuses ne vont pourtant pas solutionner le manque d’attractivité de notre métier (10 396 candidats en moins par rapport à 2021).
Il s’agit dans tous les cas de primes qui ne seront donc pas prises en compte pour le calcul de nos pensions de retraite.


 Des promotions de carrière facilitées pour l’accès à la hors-classe et à la classe exceptionnelle :

Le ministère prévoit d’augmenter le nombre de passage à la hors-classe de 18 à 23 % d’ici à 2025.
Cela devrait permettre un délai de passage raccourci d’un an et plus de 5 000 promotions supplémentaires.
Le nombre de promu.es à la classe exceptionnelle sera relevé aussi mais très légèrement de 10% à 10,5%.
N’oublions pas que ce ne sont pas des revalorisations salariales mais la juste reconnaissance de notre ancienneté donc de notre expérience professionnelle, de l’amélioration et de la diversification de nos compétences professionnelles pour le service public de l’Education Nationale.

Le terme de « revalorisation » est bien mensonger : nous sommes très loin de l’augmentation de 10 % qu’avait fait miroiter Emmanuel Macron lors de sa dernière campagne présidentielle.
Pour celles et ceux ayant plus de 15 ans de carrière (70 % des enseignant.es) l’augmentation par rapport à septembre 2022 est comprise entre 3 et 4 %.
Elle ne compense en rien notre déclassement salarial et notre paupérisation continuelle.
Comme les augmentations de salaires vont rester insuffisantes pour couvrir l’immense perte de notre pouvoir d’achat (25 % perdus en 20 ans) aggravée par l’inflation galopante actuelle (17,6 % sur les produits de grande consommation en avril), Emmanuel Macron présente son pacte comme une solution financière supplémentaire « jusqu’à 500 euros par mois ».
Il omet de préciser que pour arriver à cette somme de 500 euros par mois, il faut cumuler : l’augmentation de la prime d’attractivité + le doublement de l’ISOE + les 3 missions du pacte.

« Revalorisation » conditionnée ou « pacte » - Le retour du très sarkozyste « travailler plus pour gagner plus » :

Lors de la dernière réunion de « concertation » du lundi 6 mars sur le pacte, toutes les organisations syndicales ont quitté la table des négociations pour dénoncer l’alourdissement de notre charge de travail ainsi prévu.

- « On augmente un peu tout le monde, mais on veut aussi récompenser ceux qui se donnent ».
Jamais avare d’une provocation, Emmanuel Macron présente la « revalorisation pacte » comme une récompense pour les enseignant.es méritant.es.
Elles et ils ne seraient donc qu’un tiers dans notre profession car c’est le nombre de personnes prévues dans le budget de l’Education Nationale pour le pacte. Il y aurait donc 2/3 des enseignant.es qui ne se « donnent » pas… cela fait beaucoup de « professeurs décrocheurs » selon le Président. Comment parler de revalorisation tout en continuant à nous dévaloriser.

- Une « mission complémentaire de remplacement » au service d’un affichage politique
présidentiel :

Le pacte doit d’abord servir la parole présidentielle en assurant un taux de remplacement meilleur… mais pas forcément un meilleur remplacement des collègues absent.es.
Le problème des remplacements n’est pas le fait des enseignant.es déjà surchargé.es de travail (la DEPP avance plus de 43 heures de travail hebdomadaires) mais du gouvernement qui ne recrute pas assez de TZR.
Le pacte doit donc servir à compenser les remplaçant.es titulaires qui ne sont pas recruté.es ou qui sont supprimé.es depuis des années.
Les remplacements ponctuels (dits de Robien) existent déjà depuis le décret du 26 août 2005.
Ils n’ont pas eu un grand succès depuis et encore moins avec les deux heures supplémentaires imposées (décret du 11 avril 2019).
Il ne s’agit donc pas de l’exercice de « missions nouvelles » comme l’écrit notre ministre, ni d’une « revalorisation » mais d’un travail supplémentaire pour des enseignant.es épuisé.es.
https://www.education.gouv.fr/revalorisation-du-metier-d-enseignant-les-etapes-et-les-avancees-du-cycle-de-concertations-344388

Pour l’instant, seul.es les enseignant.es volontaires seront concerné.es par le pacte.
Il se composerait d’une demie à trois missions (ou « unités de pacte » dans la novlangue ministérielle) cumulables rémunérées forfaitairement à hauteur de 1 250 euros bruts annuels pour une mission complète (l’équivalent d’une IMP actuelle).
La demi-« unité de pacte » de remplacement (donc de 9 heures) est présentée, sans honte, par le
ministère comme une grande avancée dans la lutte pour l’égalité salariale femme/homme !
Ce plus faible volume horaire permettrait ainsi à plus de femmes d’en faire.
Ses services de la DEPP ont pourtant montré dans leurs analyses que les femmes faisaient moins d’HSA et d’HSE (https://www.education.gouv.fr/media/115538/download), obtenaient moins d’IMP et surtout celles aux taux inférieurs (https://www.education.gouv.fr/media/119074/download).
Plus il y a d’heures et de missions supplémentaires, plus les femmes sont perdantes… Le pacte va donc aussi renforcer cette inégalité salariale femme/homme.

Le nombre d’heures de chacune des missions du pacte sera différencié :

  • 18 heures pour les missions dites « prioritaires » de remplacement fractionnables en demi-mission de
    remplacement à 9 heures.
  • 24 heures pour les autres missions dites « non-prioritaires » comme « Devoirs faits », les stages de réussite pendant les vacances scolaires, la coordination et la mise en œuvre des projets dits innovants notamment dans le cadre du Conseil National de la Refondation, l’accompagnement renforcé des élèves handicapé.es (professeur.e référent.e notamment), la coordination du dispositif de découverte des métiers de la Cinquième à la Troisième (prise en charge des élèves par niveau, coordination et animation du dispositif et lien avec les entreprises).

Pour les missions pacte à 18 heures, cela reviendrait donc à 69,4 euros bruts de l’heure.
C’est un véritable gain par rapport aux 44.5 euros bruts d’HSE dites de Robien (majorée à 8,7%) actuels pour un.e certifié.e classe normale et 64.7 euros bruts pour un.e agrégé.e classe normale
Pour les missions à 24 heures, cela correspondrait à 52 euros bruts de l’heure.
Les certifié.es sont encore un peu gagnant.es mais plus les agrégé.es dont l’HSE normale est à 55 euros bruts.

La majorité des missions présentées concerne le collège, les professeur.es de lycées professionnels ne sont même pas mentionné.es.
Le pacte est donc un outil politique pour forcer les collègues à suivre les nouvelles réformes imposées. Il s’agit également de faire la promotion du Conseil National de la Refondation qui a peu de succès.
A l’heure actuelle, 1 065 projets vont bénéficier du fonds d’innovation pédagogique alors qu’il existe 59 650 établissements scolaires en France.

- Le « remplacement systématique » une mission impossible !
Dans une longue interview à Ouest France datée du vendredi 21 avril 2023, Pap Ndiaye détaille certaines annonces présidentielles de la veille.
Il explique ainsi que « les professeurs, qui remplaceront, enseigneront leur propre discipline. On ne demandera pas aux professeurs de mathématiques de dispenser des cours d’Histoire-Géo ».

Les chefs d’établissement devraient disposer d’un logiciel pour voir chaque jour quel.les enseignant.es sont disponibles pour remplacer un.e collègue absent.e. Nous suggérons au ministre de le dénommer « F@ust ».
Le SNPDEN se félicite d’avoir obtenu une « indemnité de lancement » de 1 000 euros pour les chef.fes d’établissement afin de mettre en place le pacte.

De nombreuses questions essentielles se posent pourtant et font douter de la faisabilité des remplacements au pied levé :

  • Sera-t-il possible d’être envoyé.e dans l’heure ou dans la demi-journée faire un remplacement ?
  • Un.e professeur.e peut-il remplacer les jours où elle.il n’a pas cours ?
  • Si oui, elle.il devrait alors se rendre dans son établissement pour faire une heure de remplacement… un beau bilan carbone et davantage de fatigue en perspective.
  • Qui choisira ce temps de remplacement, le chef d’établissement ou le collègue ayant signé le pacte ?
  • Un.e professeur.e pourra-t-elle.il faire un remplacement dans une classe qu’elle.il n’a pas ?
    Si oui, cela demanderait de savoir à l’avance où en est la.le collègue, d’avoir soi-même préparé cette leçon-là puis de faire un retour au collègue pour qu’elle.il puisse reprendre la suite de la leçon.

On imagine la faible efficacité pédagogique de faire un cours à une classe que l’on n’a jamais vue, dont on ignore le fonctionnement et le niveau. Il s’agira alors uniquement de faire de la garderie.

Et surtout, alors que nous sommes épuisés par les classes surchargées, par l’augmentation permanente de notre charge de travail et par les deux heures supplémentaires obligatoires, qui va pouvoir assurer 18 heures (une unité pacte remplacement), 48 heures (deux unités pacte hors remplacement) ou 72 heures (trois unités hors remplacement) en plus sans risquer l’épuisement professionnel ?
Sachant bien évidemment que ces heures ne prennent pas en compte le temps préparation et de coordination inhérent à leur réalisation.

- Un outil de management qui renforce les pouvoirs du chef d’établissement :
Comme pour les IMP, c’est la.le chef.fe d’établissement qui répartira la dotation de missions complémentaires qu’elle.il aura reçues en devant privilégier les remplacements de courte durée.
Elle.il aura dû avant estimer les besoins en « unités pacte » notamment la quantification des heures nécessaires pour les remplacements et Devoirs faits en collège puis des missions « pacte » qui devront être inscrites dans le projet d’établissement.
Cette estimation devra être soumise au conseil pédagogique puis un appel à candidatures sera lancé auprès des enseignant.es.
Les volontaires devront exprimer leurs vœux sachant que le remplacement de courte durée est prioritaire.
Il s’engagera alors un rapport de force avec le chef d’établissement qui proposera sûrement de prendre une mission de remplacement pour obtenir une autre mission escomptée donc de faire deux unités de pacte au lieu d’une.
On s’affranchit ainsi de nouveau du cadre national pour des arrangements locaux.
La répartition sera présentée pour information en conseil d’administration. Il n’y aura donc pas de vote, le seul lieu de décision démocratique est de nouveau court-circuité.
Chaque enseignant.e volontaire retenu.e par la.le chef.fe d’établissement devra signer une lettre de mission personnelle à la rentrée scolaire.
Elle sera valable pour un an mais pourra connaître des ajustements en cours d’année en « fonction des besoins effectivement constatés et satisfaits ».
Un bilan devra être fait en fin d’année scolaire en conseil d’administration.

Cette contractualisation individuelle annuelle est une nouvelle fois une attaque insidieuse contre notre statut collectif et protecteur.
Elle s’inscrit bien dans l’idéologie libérale et managériale imposée de façon zélée par le Président de la République. Il s’agit de transformer chacun.e en auto-entrepreneur.se de lui-même. Les volontaires signataires du pacte vendent en fait un service supplémentaire marchandisé en signant un contrat individuel avec l’Etat.

Nous attendons donc toujours d’abord un véritable rattrapage salarial sans contreparties et une reconnaissance à la hauteur de notre investissement professionnel permanent pour maintenir un service public d’éducation nationale digne et ambitieux.